Atelier d’écriture : L’œil retrouvé

Pour ce nouvel atelier d’écriture, Leiloona du blog Bricabook nous a de nouveau proposé une magnifique photographie de Vincent Héquet.

Photographie de Vincent Héquet

© Vincent Héquet

Voici le texte que cette photographie m’a inspiré.

L’œil retrouvé

Ça faisait bien longtemps que l’appareil n’avait pas servi et qu’il ne l’avait pas emmené en ballade.

A ceux qui lui demandaient pourquoi, il répondait qu’il n’avait plus le temps. La vérité, c’est qu’il avait perdu son œil, cette curiosité, ce qui faisait sa singularité quand il fixait son objectif vers une personne ou un lieu.

Il ne savait pas trop pourquoi. Les derniers clichés qu’il avait pris lui semblaient trop fades, trop banals, vides de cette singularité. Il avait l’impression que n’importe qui aurait pu prendre ces photos, et il s’en voulait. Pas de ressembler aux autres, mais de ne plus se ressembler. Lui qui était attaché aux moments de grâce qu’offre la vie, la vie était absente de ses clichés. Il ne se reconnaissait plus dans les photos qu’il prenait et il redoutait le moment où d’autres s’en rendraient compte. Alors, il avait remisé appareil et sacoche au fond du placard et s’était rangé derrière cette excuse.

Quand ces vacances s’annoncèrent, il dut sortir la sacoche de l’armoire pour prendre sa valise.

“Après tout, pourquoi pas ?”, se dit-il.

Pendant les premiers jours, l’appareil resta rangé bien au chaud dans son bagage. Jusqu’à ce qu’il visite cette réserve animalière. Jusqu’à ce qu’il remarque cette petite fille qui s’était éloignée de sa famille au moment du pique-nique et s’était sagement installée sur cette racine, tendant sa petite main garnies de miettes. Jusqu’à ce qu’il voit s’approcher, tout doucement d’abord puis de manière plus bondissante, un jeune kangourou aventurier qui, lui aussi, s’était éloigné de sa famille. Jusqu’à ce que ces deux petits êtres se rapprochent, simplement mus par leur curiosité naturelle, sans être aucunement gêné par le bruit ou le monde ambiant, sans qu’aucun autre être humain ne vienne empêcher cette rencontre, sans qu’aucun autre animal ne vienne réclamer sa part de miettes.

Alors, devant la magie simple de cet instant, il sortit rapidement mais discrètement son appareil, ne chercha pas quels réglages seraient les plus adaptés. Il ajusta simplement son œil pour capter le cadre qui traduirait le mieux cet instant unique et tendre, cette petite étincelle de vie. Le jeune kangourou s’éloigna à peine quelques secondes après qu’il eut le temps de prendre quelques clichés. La petit fille rejoignit tranquillement sa famille. Cette rencontre n’existait désormais que grâce à ses photos. Il en était heureux. Il venait de redonner un sens à ce qu’il photographiait. Il avait retrouvé son œil.

8 réflexions sur “Atelier d’écriture : L’œil retrouvé”

  1. C’est vrai qu’avec ces ateliers où l’on exploite des photos pour en imaginer des histoires, le travail du photographe s’estompe un peu. Mais toi, tu as su capturer les doutes de ce photographe, dont l’œil était devenu aveugle derrière son objectif, tout comme la main d’un écrivain peut être paralysée par la vue d’une page blanche…

    1. Merci Curieuse grignoteuse pour ton commentaire et ce compliment concernant mon texte et l’hommage que j’y fais à l’œil du photographe 🙂 Comme tu le dis, et comme l’évoque Bénédicte dans son commentaire, l’écrivain peut lui-même connaître cette perte de sens à donner à ce qu’il voit et qu’il veut écrire. Cependant, parfois, le doute peut être source d’inspiration…

  2. Je suis venue lire ton texte comme je le fais d’habitude et j’en ressors toute secouée car vois tu je crois que “l’oeil “pour écrire, en ce moment, je l’ai perdu…..Il est sûrement rangé quelque part et je vais peut être aller faire un tour du côté de mes valises pour voir si je le retrouve, mais là, pour le moment, mon oeil regarde les photos et il ne se passe rien. …Et les textes que j’écris j’ai l’impression de les avoir déjà écrits l’année dernière …….alors merci je comprends mieux pourquoi….

    1. Bénédicte, à mon tour d’être secouée par ton commentaire. D’une part, parce que je comprends ce que tu peux ressentir à ne pas retrouver ton “œil d’écriture” et à douter de toi… J’espère sincèrement que cette impression d’avoir déjà écrit tes textes va bientôt s’estomper et que tu retrouveras la petite étincelle qui te rendra ton œil 🙂
      Mais derrière ton désarroi d’écrivain, une autre chose me touche énormément dans ton commentaire car tu y caches un formidable compliment pour moi (tout comme d’autres récemment écrits sur ce blog) : c’est de voir à quel point mes petits textes touchent les personnes de manière aussi personnelle et de voir à quel point ça leur parle, ça évoque des souvenirs ou des ressentis, voire ça leur révèle des choses sur eux-même, comme tu viens de le confier ici. Pour moi, ça veut dire beaucoup de choses très positives concernant mon écriture 🙂 J’espère donc effectivement que cette vision positive de ton écriture te reviendra très vite 🙂

  3. Et quel oeil ! Un très bel hommage à Vincent Hecquet que tu lui offres là à travers des mots et des images bien choisis : “Lui qui était attaché aux moments de grâce qu’offre la vie” : tu as mis des mots sur ce qui ressort de ce cliché pour moi : beaucoup de grâce, celle de la vie. Merci et bravo Amélie !

    1. Oh, mille mercis pour ce joli commentaire Nady 🙂 Et dire que mes premières idées en voyant la photo n’étaient pas du tout dans ce genre là. Mais quand j’ai pris la plume, je ne me sentais plus du tout attiré par ces premières idées, et mon stylo m’a emmené ailleurs, vers ce ressenti de photographe lorsqu’on réussit à capturer un instant fugace qui devient éternel par la magie de la pellicule 🙂

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