Je travaille toujours la relecture et les corrections de la première version de mon troisième roman. Je vous le disais dans mes précédents billets, ce troisième roman s’est écrit par morceaux et pas dans l’ordre où se présente l’histoire. C’était une expérience à tester, même si ce n’était pas forcément voulu au départ. Maintenant il faut recoller les morceaux entre eux et les amener tous dans la même direction, avec une tonalité identique d’un bout à l’autre.
Je me suis dit que pour m’aider à trouver cette tonalité, mes 3 personnages principaux, ces trois femmes qui coexistent dans ce roman, pourraient m’aider. J’ai donc accroché bien en évidence leurs fiches au-dessus de mon bureau et les voilà qui observent par dessus mon épaule ce que je vais faire d’elles dans cette relecture.

Sans vous les montrer de près (ce serait vous dévoiler trop de choses… 😉 ), vous devriez pouvoir apercevoir des ratures de ci de là, et des flèches. Surtout des flèches. Mes fiches personnages ne sont jamais nickels, c’est encore plus vrai pour ce troisième roman. Et voici pourquoi.
Rature or not rature ?
Moi, j’ai choisi : rature !!!
Il faut savoir que j’avais fait mes premières fiches personnages, celles pour mes deux premiers romans, sur tableur. Un joli tableau au format numérique, que je n’avais imprimé qu’une fois l’écriture bien entamée et alors que l’inspiration et l’élan de l’histoire m’avaient déjà fourni matière à remodeler mes personnages. Un petit usage de la touche Retour chariot et il n’y paraissait plus : le héros était alors définitivement “plus grand d’une demi-tête que tous ses amis” (Thomas, le héros de 6H66), Oraé était brun et svelte (Le héros du Mystère des Ghénas) et Olivier adoptait l’expression “Vieux” (l’ami de Thomas dans 6H66).
Une fois le tableau imprimé, il n’y avait donc plus trace des versions précédentes de ce qu’étaient mes personnages. Et c’est peut-être dommage.
Pour l’écriture de ce troisième roman, j’ai abandonné le modèle tableur de mes fiches personnages. Pourquoi ? Parce que, plus encore que les deux premiers, ce roman a commencé par des petits bouts de papier, des morceaux écrits dans le désordre (ce que j’ai appelé “l’écriture puzzle”) et c’est aussi de cette façon que se sont construits mes personnages. Ces trois femmes ont des vies différentes. Différentes les unes des autres ; mais différentes aussi dans le sens où elles ont toutes les trois connues un ou des bouleversements qui leur ont fait connaître un changement de vie. Elles ont donc chacune vécu au moins deux vies. C’est d’ailleurs ce que l’un des personnages confiera à une seconde : “Nous avons tous plusieurs vies. […] Sans oublier toutes celles que nous nous sommes imaginées mais qui ne se sont pas réalisées.”
Des personnages en constante évolution… comme nous
On imagine toujours beaucoup de choses pour ses personnages. La plupart du temps, toutes les caractéristiques qu’on essaye de leur appliquer sont cohérentes entre elles, le dessin d’ensemble de notre personnage se trace sous nos yeux et sous notre plume quasiment d’une traite. Mais au fur et à mesure que l’histoire se construit et se déroule, certains aspects de leur personnalité ou de leur(s) vie(s) prennent une place plus ou moins importante, entraînant ensuite des ajustements à leur description. Parfois, cela peut même conduire l’auteur à totalement revoir, voire éliminer, un trait de caractère initialement attribué à l’un de ses personnages.
Parce que, tout comme nous évoluons avec le temps, que nos goûts, nos envies, nos besoins, nos peurs ou nos ambitions changent à mesure que nous avançons dans la vie, les personnages de romans prennent des dimensions que l’auteur n’a pas forcément imaginé au départ. Faut-il alors totalement effacer ce qui était prévu au départ ? Faut-il simplement gommer, faire un simple “copier/couper” de ce que nous jugeons désormais inadaptés à notre personnage pour le remplacer par la nouvelle vision que nous avons de lui ?
La tentation de répondre “oui” à cette hypothèse ne doit pas faire oublier que certains projets d’écriture prennent un long, voire un très long temps pour s’écrire et aboutir. Quand une idée et les premiers développements surgissent, il peut parfois se passer plusieurs mois, voire plusieurs années, avant que cette histoire ne devienne un roman terminé. Entre temps, l’auteur aura pu travailler sur d’autres projets et d’autres personnages ; les caractères des uns et des autres commenceront à se mélanger dans son esprit et lorsqu’il reprendra le projet laissé de côté, comment se souvenir des premiers traits de caractères qu’il avait insufflé à ses personnages, s’il a gommé les premières versions ?
Aujourd’hui, ne me demandez pas comment j’avais imaginé les personnages de 6H66 au tout début du projet il y a maintenant 4 ans et demi, je ne me souviens pas de tout. Au moins sur le plan de la description physique. Pour leur parcours, rien n’a franchement évolué, j’ai toujours su ce qu’ils devaient vouloir et avoir comme objectif, mais leurs secrets, leurs caractères ont pu prendre des directions différentes au cours de l’écriture. Je sais que je pourrais apprécier de pouvoir me replonger dans toutes les versions que j’ai eu d’eux, pour me rappeler ce qui m’a incité à les faire évoluer. Et peut-être que plus tard, dans un nouveau projet, construire un personnage qui ressemblerait à ce que ne sont pas devenus les personnages de mes précédents romans pourrait avoir son utilité.
Je pense que chaque auteur ou autrice construit sa façon de travailler ses histoire au fur et à mesure qu’il les écrit. On ne peut pas détenir dès le premier roman la bonne méthode, celle qui nous réussira à coup sûr. Il m’aura fallu trois romans pour savoir comment aborder la construction de mes personnages et comment vivre avec eux. Je sais maintenant qu’ils ne m’en voudront jamais de ne pas les écrire de façon parfaite dès le premier jet car eux aussi ont le droit d’évoluer.