Atelier d’écriture : La maison qui parlait

La semaine dernière, le blog Bricabook nous a proposé un atelier d’écriture à partir d’une photo de Valentine Goby.

Photo © Valentine Goby

Voici le texte que cette photo m’a inspiré.

La maison qui parlait

Il avait beau faire très froid, il était sorti boire son café sur la terrasse. Il faisait déjà nuit hier soir quand il était arrivé, et il n’avait pas pu profiter de la vue. La maison surplombait le terrain qui s’enfonçait en pente douce dans la brume. Le patrimoine de son grand-père était très étendu et il ne se souvenait plus si la limite se trouvait au premier ou deuxième bosquet. Il faudrait qu’il demande au notaire.

Déjà deux mois s’étaient écoulés depuis le décès de son grand-père. Il se rappelait encore cet appel. La sonnerie avait retenti juste après que son patron ait quitté son bureau, après lui avoir proposé de devenir associé.

Le téléscopage de ces deux nouvelles l’avait maintenu en mode “pilotage automatique” pendant tout le trajet de retour. C’est la vue du cercueil au cimetière qui l’avait ramené parmi les vivants. Et maintenant ? Il le savait, cette maison, et tous les biens de son grand-père, lui revenait, en tant que dernier représentant de la famille. Qu’allait-il en faire ? Il ne souhaitait pas forcément la vendre. Mais sa vie, il l’avait construite sur un autre continent, pas ici.

Le lendemain de l’enterrement, après une nuit blanche passée dans un petit hôtel situé à une quinzaine de kilomètres du village, il était revenu se promener aux abords de la maison. Il ne pouvait pas y entrer, il n’avait pas encore eu les clés. Mais il se souvenait du petit portillon de bois, caché dans la haie de sapin qui clôturait le fond du jardin et jamais fermé à clé. Il déambula dans le jardin et grimpa jusqu’au banc de pierre installé au pied des plus beaux arbres du parc. Il sourit. En approchant du banc, il se souvint que son grand-père venait s’y asseoir tous les soirs, quel que soit le jour de l’année et quel que soit le temps, pour regarder le coucher du soleil.

En s’y installant, il se remémorra des paroles de son grand-père, qu’il avait entendu quand il avait une dizaine d’années. “Ce banc et cette maison, c’est mon propre grand-père qui les a construits. Tu es la cinquième génération à t’asseoir ici et à courir dans cette maison. Notre famille lui a donné son âme et cette maison aurait beaucoup à dire, si elle pouvait parler. Un jour, elle sera à toi, et ce banc également. Fais honneur à ton aïeul et fais-en bon usage.”

Le banc était toujours là, attendant que l’on s’asseye dessus. Cette petite construction de pierre toute simple restait fidèle à ce lieu et à ses occupants, et résistait au temps. Tout comme cette maison. A lui maintenant de maintenir cette construction en vie. Mais comment ? Il resta là un long moment, à laisser cette question tourner autour de lui, tout en fixant la maison. Tout ce qui l’attendait en rentrant chez lui ne lui permettait pas de pouvoir prendre possession de la maison. Il ne pourrait pas faire honneur à cette promesse. Quelque part il s’en voulait, mais son grand-père l’avait toujours poussé à aller plus loin dans les études, à réaliser quelque chose de grand, et c’était grâce à lui d’une certaine manière qu’il était arrivé au poste qu’il occupait aujourd’hui. Cet engagement de réussite, il l’avait tenu. C’était devenu le moteur de sa vie, ce qui conduisait chacun de ses pas, ce qui faisait son quotidien. Il ne se voyait pas quitter ce qu’il avait constuit. Il ne pouvait pas réaliser toutes les promesses qu’il avait faites à son grand-père. Ce ne serait pas une grande capitulation de laisser partir cette maison, vu ce qu’il avait déjà accompli. Il finit par se ranger à cette excuse et se murmura pour lui-même “Pardonne-moi grand-père. Je ne pourrais pas faire bon usage de cette demeure”. Il se leva et reprit le chemin du portillon. Avant de sortir du jardin, il se tourna une dernière fois vers la maison. Droite et solide, elle se dressait au milieu du ciel gris de ce début d’automne, veillant paisiblement sur ce bout de terre et ses habitants. Il eut soudain l’impression qu’elle lui souriait. Il lui semblait même percevoir une sorte de murmure. Et soudain gagné par une sérénité inédite, il lui sourit à son tour.

Il avait repris l’avion dès le lendemain, démissionné une semaine plus tard, vendu son appartement et tout son contenu très rapidement. Ce qu’il pensait avoir construit, il s’en était très vite détaché, sans état d’âme, sans appréhension. Aux personnes qui lui demandaient ce qu’il allait faire, il répondait simplement “Je verrai sur place ce que me dira la maison”.

Maintenant qu’il était arrivé, il avait hâte d’aller s’asseoir sur le banc, pour entamer la conversation.

10 réflexions sur “Atelier d’écriture : La maison qui parlait”

    1. Merci beaucoup pour ton commentaire 🙂 Je viens d’aller lire ton texte et je le trouve très intéressant également 🙂 Nos deux inspirations pourraient même donner lieu à une sorte de cross-over entre ateliers d’écriture pour en former un 3ème 😉

  1. Quel beau texte, en quelques mots on se trouve projeté dans cette campagne et on devine rapidement le dilemme qui va arriver.
    Une fin rapide, comme un avion qui décolle, qui nous rassure. Ouf, il n’a pas fait le mauvais choix ….
    Mais nous, qu’aurions nous fait ???

    1. Merci pour ton commentaire, Bonlecteur 🙂 Merci pour ta dernière question. On écrit notamment pour se questionner soi-même, mais si on parvient à amener le lecteur dans cette phase d’introspection, c’est que notre texte a réussi à toucher 🙂

  2. defossez-drozdz jessica

    sans nos racines que sommes-nous ?…….Il faut y faire bien attention pour tous les bourgeons que nous créons .

    1. Merci beaucoup pour ce commentaire, Sabariscon 🙂 Les plus beaux héritages sont ceux qu’on arrive à rendre encore plus beaux pour les générations futures. J’aime l’idée de transcender chaque fois ce que nos ancêtres ont réalisés. C’est ce que mon personnage découvre enfin ; souhaitons lui bon vent et une belle conversation 🙂

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